Dahut, princesse d’Ys

Dahut – aussi appelée Ahès – , princesse d’une citée en mer, Ys, apparaît comme une allégorie de la déesse mère celte, comme presque toujours les femmes dans les légendes celtes. Dans la mythologie celte, les femmes occupent toujours une place particulière. Elles font souvent référence à la « femme de l’autre monde » comme l’appellent Le Roux et Guyonvarc’h, deux auteurs de référence familiers des amateurs de culture celtique, ou la « dame blanche » – ou encore la « déesse blanche » pour Robert Graves, autre grand spécialiste de mythologie celte. Elles sont une incarnation de la déesse mère, déesse Ana, qui devint en Bretagne Sainte-Anne, grand-mère maternelle de Jésus et patronne des Bretons. Les femmes des mythes celtes enfantent les Rois ou les Druides, souvent de façon magique, la virginité étant un attribut fréquent pour ne pas dire systématique. Les femmes, au contraire des Rois ou des Druides, ne sont jamais complètement humaines, elles sont le lien entre l’humanité et l’Autre Monde, pour donner la vie le plus fréquemment, et parfois aussi pour la reprendre.

Dahut – ou Ahès – représentante de la déesse Mère chez les Celtes

Dahut, parfois aussi appelée Ahès, s’inscrit dans cette tradition quoique le portrait peu flatteur qu’en ont fait les différents interprètes de la légende s’éloigne de la tradition celtique où la femme, au contraire, évoque la pureté et la perfection de l’Autre Monde. Il n’en reste pas moins que la Dahut de la légende de la ville d’Ys est une représentation de la déesse. Si Dahut a épousé, au contraire de sa vocation première, des caractéristiques humaines maléfiques, il faut sans doute en trouver la raison dans l’allégorie sous-jacente à la légende de la ville d’Ys, qui est de représenter le passage de l’antique religion celte au christianisme. Michel Le Bris (Ys dans la rumeur des vagues) est sans doute celui qui s’empare de cette problématique avec le plus de clarté et l’intention la plus assumée. Dahut y est présentée comme celle qui souhaite à tout prix conserver à l’ancienne religion un havre préservé, la ville d’Ys, exhortant un Roi Gradlon désabusé à lutter jusqu’au bout. Pourtant, ses moeurs dépravés ne la rachètent pas davantage que dans d’autres versions de la légende, et montrent une religion à bout de souffle qui s’est perdue dans ses mauvais penchants. Les neufs Sènes de l’Ile de Sein évoquent le même glissement, elles ne sont plus de belles Vierges pures comme on se plaît à les imaginer, mais de méchantes sorcières repoussantes. Corrompue à l’image de sa dernière combattante, l’ancienne religion ne pourra échapper à son issue fatale, la destruction par la submersion de la mythique ville d’Ys.

Représentations de dahut -ou Ahès – dans la litérature

Dans la littérature, la représentation de Dahut a peu varié. Hersart de la Villemarqué (le Barzhaz Breizh, 1845), Emile Souvestre (le Foyer Breton), Charles Guyot (La légende de la ville d’Ys, d’après les textes anciens, 1926), Georges-Gustave Toudouze (Les derniers jours de la ville d’Ys) en proposent une représentation assez homogène : une femme à la beauté fatale mais à l’âme machiavélique. La représentation d’Henri Queffélec apporte une note intéressante. Si elle reste une femme inflexible dénuée de pitié, elle tient moins de la magicienne que d’une princesse bien humaine, manquant de discernement alors que des événements avant-coureurs lui annoncent la destruction de sa ville. Henri Queffélec est en effet un tenant de la réalité historique de la submersion de la ville d’Ys, et c’est une version romancée mais réaliste qu’il cherche à nous transmettre, plus qu’une métaphore sur le passage d’une religion à l’autre.

Les auteurs de bande-dessinée ont quant à eux pris le contrepied total de cette vision des choses. Dahut retrouve les attributs de perfection de la déesse celte. Les Saints chrétiens endossent clairement le rôle de méchants. La destruction de la ville d’Ys vient comme le triste épilogue d’une bataille qui soumet des faibles aux forts.