C’est en 1982 que paraît la première version du texte « Ys dans la rumeur des vagues » de Michel Le Bris. Revu ensuite pour la télévision en 1983, puis réécrit ensuite pour la version de 1985.
Michel Le Bris présente ici la légende sous les traits d’une pièce de théâtre, en treize séquences assez courtes, dynamiques et poétiques. L’écriture est efficace et porte aussi beaucoup de nostalgie.
De la nostalgie parce que dans son texte, l’auteur montre le passage d’un monde à l’autre, et insiste notamment sur la fin de l’ancien monde celte. Dahut symbolise ce monde celte qui se meurt, par l’arrivée d’Orient d’un monde chrétien incarné dans la pièce de théâtre par Saint Ronan. Le roi Gradlon quant à lui, semble pris entre les deux mondes : éprouvé d’une grande tristesse de la perte de sa femme tant aimée Malgven, morte en mettant au monde Dahut, il ne parvient à retrouver l’élan que Dahut aimerait lui rendre. Il sent que quelque chose va changer et c’est comme s’il n’avait plus envie de se battre, de lutter.
« Le monde est mort en lui, un monde se meurt, et d’autres temps s’annoncent… »
« Nous n’aurons pas de place dans le monde qui vient. J’ai peur pour toi, Dahut »
L’allégorie du passage d’une religion à l’autre au premier plan chez Michel Le Bris
Par rapport à ses prédécesseurs, Michel Le Bris joue plus explicitement l’analogie entre les personnages et deux mondes qui s’opposent. Là où dans les versions précédentes, celle de Henri Queffélec par exemple, on ne sait pas trop si c’est Dahut qui précipite elle-même l’ancien monde dans sa perte par ses fautes, ou ce monde celte lui-même, représenté par Dahut, qui arrive de toute façon au bout de sa route, Le Bris nous emmène plus clairement sur la seconde voie.
Dahut, pour combattre cette mouvance dangereuse qui approche, se rend sur l’Ile de Sein, où se trouvent recluses les Sènes, ces prêtresses celtes aux pouvoirs magiques. Devenues de vieilles sorcières effrayantes, elles sont sur le point de mourir aussi face à l’arrivée du nouveau monde. Dahut tente de réveiller ce vieux monde qui se meurt ; les Sènes lui demandent alors, pour sauver cette vieille religion celte en danger de construire la cité d’Ys, qui conservera en son cœur la toute-puissance et les souvenirs de ce vieux monde. Mais dans ce contrat, Dahut devra aussi tuer tous les jours des hommes et les jeter à l’Océan pour nourrir les Sènes qui y règnent en maîtresses indomptables.
Ainsi, Dahut n’est pas une pécheresse incorrigible comme l’ont pu présenter d’autres interprètes de la légende mais la dernière des fidèles d’une religion perdue. Elle n’est plus celle qui corrompt un passé pourtant noble et bon comme chez Henri Queffélec mais celle qui tente dans un ultime sursaut de sauver ce qui peut l’être d’un passé corrompu en fin de course.
C’est ainsi que la ville d’Ys sera construite, qu’elle deviendra une ville riche, opulente mais aussi pécheresse, comme dans les autres versions de la légende.
Un homme masqué, aux allures de Diable s’y invitera pour mener la cité à sa perte : c’est Ronan qui se révèlera derrière le masque. Le roi Gradlon, voulant mourir dans Ys et son ancien monde, sera sauvé par Ronan qui lui dira :
« Tu es le passeur, Gradlon, d’un monde à l’autre »
Mais Ronan empêchera Gradlon de sauver sa fille Dahut, qui mourra dans les flots, sur les flancs de son cheval Morvac’h.
Le rôle inattendu de Saint-Ronan pour Michel Le Bris
Saint Ronan, en prenant les traits du Diable, n’est pas le rédempteur intransigeant de Georges-Gustave Toudouze ou Charles Guyot, ou doux et miséricordieux de Henri Queffélec, mais le meneur d’une modernité nouvelle qui ouvre un nouveau cycle dont il n’est sûr en rien qu’il sera meilleur que le précédent ni non plus qu’il le remplacera complètement.
Michel Le Bris signe ici un bien joli texte sur le passage très imagé de la religion celte à la religion chrétienne, en Petite Bretagne, au cœur des légendes celtiques. Il donne à méditer, sur fond d’océan déchaîné, qui fait entendre « l’appel des royaumes engloutis, le fracas des tempêtes, et les chants dangereux de la mer ». Moins manichéen que les autres versions, il est une réflexion sur les cycles qui passent, remplacés par d’autres qui auront eux-aussi leurs faiblesses.
La pièce se termine sur ces mots qu’écrivait son ami Xavier Grall :
« Le pire n’est pas toujours sûr. Les chances de la Bretagne m’apparaissent intactes, pour peu que les Bretons reviennent à ce qui a fait leur génie pendant des siècles : confronter l’esprit de l’eau et de vent à la promesse qui nous vient de Palestine. Il faut accepter ce conflit, assumer cette dysharmonie, prendre en compte le tumulte. Saluer la tempête… »