En 1962, Henri Queffélec signe à son tour une version de la célèbre légende de la ville d’Ys. Henri Queffélec est un breton né à Brest. Il est un pur produit de la méritocratie française, admis à l’Ecole Normale Supérieure en étant passé par Louis le Grand, il est reçu à l’agrégation de lettres en 1934. Il est connu pour être l’un des plus grands romanciers de la mer. Un recteur de l’île de Sein ou Le royaume sous le mer pour lequel il reçoit le prix du roman de l’Académie française en 1958 font partie de ses romans les plus connus. En 1962, il écrit Tempête sur la ville d’Ys. Son introduction est particulièrement éclairante et intéressante.
Une précision de géographe chez Henri Queffélec
Pour lui, il ne fait aucun doute que la submersion de la ville d’Ys a réellement eu lieu à la période supposée, le Ve ou VIe siècle. Aussi, il apporte un soin tout particulier à proposer un roman réaliste bien ancré dans une réalité géographique et historique. En ce sens, il s’éloigne des versions réellement légendaires comme celles de Théodore Hersart de la Villemarqué ou Emile Souvestre, pour proposer un roman établi dans un contexte historiquement plausible. Dans son idée, les côtes bretonnes étaient parsemées de nombreux marais au pied des falaises. Il n’est pas le seul à citer un géographe du VIIe siècle – l’artiste Pierre Toulhoat le fera aussi, ainsi que Théodore Hersart de la Villemarqué -, connu sous le nom de l’Anonyme de Ravenne qui écrit: « La partie de la Bretagne continentale, où le monde prend fin, en face de l’océan occidental, s’appelle la Bretagne dans les marais… (Britania in Palidibus) ». On n’a pas de mal à imaginer, lorsque l’on se promène sur les dunes de Sainte-Anne la Palud, ou dans la baie des Trépassés, le paysage formé de joncs, de dunes et de lagunes qu’Henri Queffélec voit s’étendre sur un quart de l’actuelle Baie de Douarnenez. « La Palud » d’ailleurs signifie « marais » ce qui apporte un crédit supplémentaire à cette théorie. Henri Queffélec trace un nouveau rivage qui part de Douarnenez pour aller jusqu’à Telgruc en face sur la presqu’île de Crozon en arrondissant au large de la côte actuelle. Une digue flanquée d’une route permettait de joindre Crozon ou Huelgoat en coupant à travers la baie. La ville d’Ys – Ker-Is – se serait située au pied de l’actuelle Douarnenez entre l’embouchure d’une rivière et une lagune qui permettait de jouer le rôle d’une sorte d’arrière-port.
Des personnages de roman réalistes
Dans son souci de réalisme, Queffélec décrit un port important sans avoir la magnificence des descriptions de Georges-Gustave Toudouze qui y voit des temples romains ou de nombreux bassins pour des bâtiments que l’on imagine majestueux comme les vaisseaux du XVIIIe siècle. On est avec Queffélec dans l’idée d’un port de pêche que les Romains auraient développé pour lui donner une envergure certaine. Lorsque l’on voit les restes romains des cuves de garum sur la promenade des Plomarc’h juste à l’est de la ville, on comprend que l’endroit, pendant la période gallo-romaine avait une importance substantielle. La princesse Dahut – appelée Ahès dans son roman – habite une maison majestueuse mais sans atteindre la splendeur des palais que Georges-Gustave Toudouze ou Charles Guyot ont pu imaginer. Ahès est une princesse qui n’est pas coupée de la population, on la voit se promener dans sa ville comme on l’imaginerait de la souveraine des anciennes tribus celtes. Ainsi en va-t-il également de Gradlon. Ahès, quoique méprisante et entretenant vis-à-vis des chrétiens le même ressentiment que les figures habituelles qu’on lui prête dans les différentes versions de la légende, est présentée sous des traits plus réalistes. Elle n’est pas cette femme qui prend un amant différent toutes les nuits puis le tue, elle est une femme aux mœurs certes dissolus mais plausibles. On la trouve en femme affirmée mais rendue très humaines par ses défauts. Elle n’a pas le caractère d’héroïne dramatique d’une tragédie shakespearienne qui lui donnera un peu plus tard Michel Le Bris.