Georges-Gustave Toudouze nous propose en 1948 une nouvelle version de la légende de la ville d’Ys. Ce parisien, fils d’un écrivain qui a notamment fréquenté Zola, est un amoureux de la Bretagne. Dans sa version, on retrouve la lecture de Charles Guyot héritée des versions du XIXe siècle : Dahut, présentée comme une princesse capricieuse et meurtrière, attire sur sa ville d’Ys la colère divine, malgré les tentatives répétées de son père Gradlon et de l’abbé de Landévennec, Gwénolé, pour la remettre dans le droit chemin. La version de Toudouze se distingue de ses prédécesseurs sur plusieurs points.
La reine Malgven au premier plan chez Georges-Gustave Toudouze
La reine Malgven, femme du Roi Gradlon, est une princesse du Nord, des côtes scandinaves, évoquant les walkyries de la mythologie germanique. Toudouze consacre à sa rencontre avec Gradlon un tiers du roman : Gradlon est conduit par un marin vénète évadé, jusqu’à une forteresse nichée au fond d’un fjord probablement norvégien, pour s’emparer d’un trésor et venger au passage l’infortuné vénète qui y a été détenu avec ses compagnons deux ans durant. Malgven s’y révèle une combattante aussi efficace et terrible qu’envoutante. Elle ne cèdera rien à l’armée bretonne qui finira par abandonner la partie, à l’exception de Gradlon. Gradlon et Malgven tombent finalement amoureux, et Gradlon ramène la belle en Bretagne où elle mourra en couche en donnant naissance à une fille, Dahut.
L’importance donnée à Malgven par Georges-Gustave Toudouze est assez rare pour être soulignée. Cette princesse-déesse est d’abord plus scandinave que celte, et ni le Barzaz Breizh ni aucune des versions du XIXe siècle d’Olivier Souêtre à Emile Souvestre ne la mentionne. Seul Charles Guyot l’évoque. Toudouze en fait une figure centrale de son roman. Peut-être a-t-il inspiré à ce titre Rodolphe et Alzate dans la série de BD « La ville d’Ys » dont le premier tome, La folie Gradlon, est consacré au siège du château de Malgven.
Il serait intéressant de voir d’où vient d’ailleurs cette tradition autour de Malgven. Elle ne vient sans doute pas des contes bretons transmis depuis des siècles au coin du feu. Peut-être faut-il la chercher dans d’autres traditions européennes dont il serait intéressant d’exhumer l’origine.
Des ajouts historiques intéressants pour raccrocher la légende à l’Histoire
Les premières versions de la légende s’articulent autour de personnages historiques chrétiens : Saint-Gwénolé, Saint-Corentin, voire Saint-Ronan. Le roi Gradlon n’est pas complètement reconnu par l’histoire mais il apparaît tout de même ici et là, par exemple dans certaines généalogies des rois de Bretagne du Moyen-Âge. Dahut en revanche est entièrement légendaire. Elle représente une allégorie de la vieille religion celte en transition vers le Christianisme. Georges-Gustave Toudouze a tenté de raccrocher la légende à son contexte historique, chrétien et pré-chrétien.
- Avant l’arrivée des Bretons venus des Iles Britanniques chassés par les invasions Angles et Saxones, l’Armorique étaient composés de peuples celtes – tout comme les Bretons – gaulois : les Osismes, occupant à peu près le contour du Finistère, les Coriosolites, sur la partie Est des Côtes d’Armor, les Redones autour de Rennes, les Vénètes autour de vannes et les Namnètes pour l’actuelle région nantaise. Les Venètes se sont illustrés comme de grands marins. Jules César les cite comme tels alors qu’il les défait en combat naval en -58 avant JC, ce qui sonne comme le début de la suprématie romaine en Gaule. Toudouze met en scène un descendant de ces Vénètes. C’est lui, alors qu’il est recueilli presque mort en pleine mer par l’escadre de Gradlon, qui amène le Roi de Cornouaille au pied du château de Malgven dans l’objectif d’y chercher fortune et vengeance.
- Il prête à Dahut un mélange de religions romaine et gauloise, à la fois adoratrice de la déesse Vénus et amie des Sènes de l’Ile de Sein. Ainsi, la princesse représente à la fois anciennes religions mises dans un même sac, perdues dans un état de débauche, que le christianisme remplace peu à peu. Toudouze essaie de donner un peu de contenu historique à la religion de Dahut en lui faisant construire un grand temple de Vénus et en montrant des orgies en l’honneur de la déesse.
- Enfin, l’auteur des Derniers jours de la ville d’Ys fait entrer en scène des Romains venus chercher alliance auprès de Gradlon contre Clovis. En effet, à cette époque, il ne reste plus qu’un petit état contrôlé par les Romains. Les Francs occupent déjà largement le Nord, les Burgondes et les Wizigots l’Est et le Sud, et les Bretons la péninsule armoricaine. Il ne reste aux Romains qu’un petit empire entre la Somme et la Loire appelé « Empire de Syagrius ». L’Histoire nous apprend qu’il a fini par être défait et exécuté par Clovis. Toudouze imagine qu’avant cette issue funeste pour le commandant Romain, celui-ci est venu chercher un allié en Bretagne. Cette péripétie n’apporte pas grand chose à l’intrigue de la légende mais lui donne une réalité historique supplémentaire en donnant au monde pré-chrétien de son roman des références historiques concrètes.
Une tendance constante au XXe siècle de rattacher le récit de la légende à l’Histoire
Georges-Gustave Toudouze poursuit ainsi une tradition initiée par Charles Guyot d’ancrer cette légende dans une réalité historique, tradition qui se poursuit tout le XXe siècle à chaque nouvelle version. Les premières versions de la légende proposées par Hersart de la Villemarqué dans le Barzaz Breizh ou par Emile Souvestre dans Le foyer Breton, sont directement tirées des récits populaires racontés au coin du feu. Ils ne cherchent pas à présenter une réalité historique, même si certains personnages comme Saint-Guénolé, Saint-Corentin, voire Gradlon, sont des personnages historiques, mais à raconter ce conte d’une Sodome bretonne engloutie par les eaux. Ce conte pourrait renvoyer à des périodes plus lointaines comme le déluge de la Bible ou la disparition de l’Atlantide. La tendance des versions suivantes est au contraire d’affirmer que la submersion a bien eu lieu, et qu’elle a eu lieu à l’époque suggérée par la légende c’est-à-dire au moment de l’arrivée des Bretons en petite Bretagne. Ainsi ce soin apporté par Toudouze à parsemer son récit de références historiques qui rendent la légende indissociable de son contexte historique. Henri Queffélec ira plus loin encore en donnant à son récit un style réaliste. Exit les référence à la magie, exit le Diable, exit les Sènes de l’Ile de Sein, on est avec lui dans une chronique historique, certes poétique et sensible, mais réaliste. Michel Le Bris dans Ys dans la rumeur des vagues s’inscrira également dans une tradition réaliste où l’on « sent » le pays, la mer, les embruns. Il insistera pour sa part sur l’allégorie du monde celte par Dahut et du monde chrétien cette fois-ci par Saint-Ronan, les deux faisant apparaître une forme de noirceur, justifiant une lecture moins manichéenne de Michel Le Bris où il appelle à une cohabitation entre les deux mondes.